Depuis la nuit des temps, la jalousie est un tourment connu par le plus grand nombre : lorsqu’elle vient envahir l’esprit comme le corps, elle exalte autant qu’elle torture et obsède. Si la passion jalouse rythme parfois des moments de la vie amoureuse humaine, elle peut devenir pathologique lorsqu’elle devient un mode de relation à l’autre aimé qui empoisonne l’existence de ceux qui la subissent jusqu’au délire et parfois même jusqu’au crime. Dans ce cas, le jaloux ne se torture pas seulement lui-même : il torture aussi l’être qu’il souhaiterait posséder totalement. Ses attaques incessantes sont à la hauteur des attaques dont il se sent la victime. C’est bien parce qu’il vit sa relation à l’autre aimé comme un lien tyrannique qu’il se sent autorisé à exercer son emprise en retour. Car pour le jaloux délirant, l’infidélité de l’autre ne fait aucun doute : s’il sait, s’il connaît l’exacte vérité, l’autre est forcément coupable ; et lui la victime de la tromperie. Se vivant comme humilié et trahi, il va n’avoir de cesse de tenter de piéger l’unique objet de ses tourments pour lui apporter la preuve de cette vérité qu’il est le seul à détenir.
Sentiment, état affectif, sensation corporelle d’excitation comme de douleur, la jalousie brouille les limites entre l’amour et la haine mais également entre les territoires du corps et de l’esprit, rongés par ce tourment lancinant. Pourtant, ce sentiment si vif, parfois proche de la rage, apparaît très tôt dans la vie psychique : le plus souvent, chez l’enfant, lors de la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur qui vient le détrôner de sa place de bébé roi dans la famille. Une ou un intrus est venu se loger entre moi et mon objet d’amour. Le sentiment persiste parfois de manière plus sourde dans les familles avant de ressurgir à l’occasion du partage d’un héritage. Cette jalousie ordinaire, œdipienne, fraternelle, est susceptible de se déplacer à l’âge adulte dans l’environnement professionnel, dans les cercles des amis, mais aussi, bien évidemment, dans la vie amoureuse. De la bataille fraternelle pour occuper la meilleure place par rapport à l’amour des parents, jusqu’à la hantise de l’infidélité du partenaire amoureux, on retrouve ce tourment lancinant : celui que la personne que l’on aime tant, en vienne à aimer quelqu’un d’autre plus que nous-même. Et toujours, cette douleur effroyable de ne pas être l’aimé, c’est-à-dire, de ne pas être le préféré.