Si la jalousie déborde de loin la simple thématique de l’amour, la littérature explore en revanche abondamment le topos de la jalousie en les reliant étroitement. Dans le premier tome de A la recherche du Temps Perdu, Swann, amoureux d’Odette, explore ainsi les mécanismes psychologiques de la jalousie, désignée comme « la maladie intermittente ». Et sur ce même mode, de grandes œuvres mettent en scène la classique jalousie oedipienne. Portant sur un rapport, non sur un objet, elle rend la rivalité à l’autre possible, quand la jalousie archaïque, quant à elle, porte sur un objet dans une relation spéculaire d’où le tiers est exclu. Il suffit de plonger dans l’univers des contes pour s’apercevoir que Blanche-Neige ou Cendrillon ont mis en évidence bien avant Freud l’enjeu narcissique de la passion jalouse, où l’autre occupe la place du moi idéal, contrairement à l’amour où l’autre est mis en place d’idéal du moi. Ce qui semble être de la jalousie peut renvoyer également à cet enjeu identificatoire beaucoup plus archaïque qu’œdipien de l’envie, comme l’illustre par exemple la jalousie fraternelle que traite Maupassant dans son célèbre roman Pierre et Jean. Dans cette aliénation à l’autre où « le désir ne peut se confirmer que d’une concurrence, que d’une rivalité absolue avec l’autre, quant à l’objet vers lequel il tend, » ainsi que l’explique Lacan, le jaloux est en fait possédé par son objet et semble parfois se perdre dans la jouissance que lui procure ce rapport d’aliénation. Comme le clame le personnage de Iago dans l’Othello de Shakespeare : « prenez garde, mon maître, à la jalousie. C’est un monstre aux yeux verts qui produit l’aliment dont il se nourrit ! » C’est à ces figures prises du mal de la passion que la littérature nous invite également à nous intéresser en sondant l’enfer auquel leurs pulsions les livrent, en évoquant l’hainamoration, ou l’amour à mort de la passion qui peut conduire au crime dit passionnel, comme en témoigne la fin de l’œuvre de Stendhal, Le Rouge et le Noir, à propos du destin de Julien Sorel…Dans son analyse du mécanisme complexe de la psyché humaine, la littérature confirme que si la passion fonctionne en miroir, l’amour exige la reconnaissance authentique d’un rapport d’altérité, qui impose nécessairement de devoir traverser la jalousie pour pouvoir consentir à l’amour…