« Le rouge, vous savez, c’est beau pour les schizophrènes ! » Aloïse, figure de l’art brut, fut atteinte de délire schizophrénique, ce qui lui valut d’être internée jusqu’à la fin de ses jours. Antonin Artaud, poète, dramaturge, lui aussi fuit interné une partie de sa vie, et il accusa son psychiatre de vouloir « redresser sa poésie ».
Si l’art peut sauver des schizophrènes, il en fait plonger d’autres dans le chaos, asséchant leur créativité. Mais que serait devenue Niki de Saint-Phalle, hospitalisée pour bouffée délirante et hallucinatoire dans un contexte profondément dépressif si elle n’avait pas croisé l’amie-artiste qui lui a offert l’opportunité d’exprimer ses traumatismes et de s’extraire des griffes d’un psychiatre maltraitant ?
Pédopsychiatre, je m’intéresse au moment de bascule, à ce mode d’entrée éventuel dans une schizophrénie à l’adolescence. Là, tout reste encore possible, s’extraire sans trop de dommage d’une bouffée délirante ou être fixé dans une schizophrénie. Cela dépend de la façon dont les soignants prennent en charge ce moment de chaos. Il est révoltant de recevoir des jeunes gens qui après une seule bouffée délirante aiguë, sont affublés d’un diagnostic de schizophrénie et d’un traitement antipsychotique qui leur est prescrit à long terme qui ne fait qu’aggraver leur désocialisation et chroniciser une psychose sans s’attaquer à l’origine du processus dissociatif. L’art du soignant associé au soin de l’art : une voie d’expression et de réparation constructive du processus schizophrénique efficace. Les artistes et patients qui se sont reconstruits grâce à cette alchimie, avec ou sans l’aide de psychotropes sont si nombreux. Dans le film présenté, Maurice Utrillo, peintre, fut sa vie durant au bord du gouffre schizophrénique Plusieurs fois interné après des frasques accentuées par le pire médicament, l’alcool, peindre fut un recours qui lui a permis de se construire malgré tout, nous laissant une œuvre majeure.
Thierry Delcourt
Film Maurice Utrillo, Suzanne Valadon, un duo infernal